L'Acropole vue par des amateurs
Mesdames et Messieurs,
La vidéo que vous allez voir commence par un avertissement: « vous visionnez des extraits d’un travail en cours ». Vous allez en effet, voir des plans de films de famille tournés par des amateurs entre les années 30 et 70. Il ne s’agit que d’une partie, « à titre indicatif », des films que j’ai découverts dans le cadre de ma thèse portant sur «l’Histoire du Cinéma Amateur en Grèce».
Au cours de la recherche, je me suis trouvé face à un matériel détérioré, souvent en très mauvais état, conservé -avec plus ou moins de soins- dans des tiroirs, parfois –et non rarement- même oublié dans des sous-sols, des entrepôts ou sous des bancs, dans des marchés aux puces. Au delà des obstacles, cependant, ce matériel, nous offre une "autre optique" que celle de l’industrie cinématographique, très souvent plus intéressante et, de manière surprenante, plus "moderne", du point de vue esthétique. Il n’en reste pas moins que la collecte est une tâche immense, ce qui me fait parler de travail toujours «en cours».
Tous les jours de nouveaux films apparaissent, de nouvelles collections sont découvertes, de nouvelles images s’ajoutent aux anciennes. Ce processus ne saurait s’achever. Or, il pourrait contribuer à la fondation des archives audiovisuelles de la ville d’Athènes, tel le Forum des Images en France. Les plans dispersés immortalisant l’Acropole, y trouveraient place et seraient mis à disposition de chercheurs et de metteurs en scène. Ou, peut-être, constituerait-on un film documentaire sur l’Acropole vue à travers des films de famille.
Cette recherche m’a, déjà aidé à éclaircir, au niveau personnel, deux points que je voudrais partager avec vous:
Tout d'abord, l’image de l’Acropole est, selon moi, perceptible à travers des images même gauches ou détériorées. Il y a tant de représentations de monuments par des images haute résolution, mais qui semblent, pour la plupart, plus pauvres que l’original. Les images usées nous offrent moins de détails, mais elles peuvent déclencher le mécanisme de la mémoire. L’Acropole que vous allez voir, n’est pas celle des guides touristiques ou des albums de luxe, ni l’Acropole des cartes postales. C’est l’Acropole par l’intermédiaire du temps qui use, l’Acropole des matinées du dimanche, des promenades, de nos souvenirs. Une Acropole imaginaire, et en cela, plus proche du lieu et du temps de nos rêves.
En second lieu, lorsque je tentais de mettre en ordre les films de famille, j’ai pris conscience qu’alors qu’on le contemple, le Parthénon nous regarde lui aussi. Il devient ainsi, le miroir de notre itinéraire personnel: il reflète, à la fois, ce que l’on voit quand on le visite, et les conditions de nos visites: notre habillement, nos compagnons, etc. En suivant, par exemple, les films de la famille Koutela, je me suis rendu compte que rarement verra-t-on, sur l’Acropole, une famille grecque qui ne soit pas endimanchée. On a l’habitude de monter sur l’Acropole comme on entre dans une église et, bien entendu, pas seuls, ni en compagnie quelconque, mais avec ceux qui nous accompagnent et qu’on accompagne, à juste titre: notre famille.
En même temps, l’Acropole devient «l’arche» de notre histoire collective: discrète, cachée derrière des immeubles collectifs et des appartements bourgeois, désormais à la marge des événements, mais toujours présente, symbole et signe de reconnaissance d’une ville, elle suit le destin d’un pays et celui de l’humanité. Je me souviens, maintenant, d’un plan excellent, dont nous ne disposons malheureusement pas, tourné, si je ne me trompe, par un soldat: les Allemands plient le drapeau nazi devant le Parthénon. Comme par une ironie tragique, les soldats reculent, les emblèmes de l’occupant sont abaissés, tandis que les ruines demeurent telles des vainqueurs perpétuels.
En voilà, donc, une leçon morale que l’on devrait prendre en considération: une colonne d’une civilisation antique se révèle plus tenace que les occupants. Il se peut d'ailleurs, qu’à travers le temps, les civilisations anciennes se fortifient, à l’insu et en dépit de nous, tant qu’on persiste, d’une façon ou d’autre, à les réduire en ruines.
En ce qui vous concerne, je vous prie de bien vouloir prendre en considération que les films que vous allez visionner, ont, pour certains, en un sens, été des «ruines», des résultats de longues fouilles et de restaurations plus ou moins réussies. J’ai essayé de limiter mon intervention pendant le montage. J’ai coupé le moins de plans possible, et je me suis permis un court «slow motion» (ralenti), ainsi que le « freeze frame » (l’arrêt sur image) qui n’est évidemment pas compris dans le matériel original. J’ai préféré placer entre les petits films des amorces, ajoutant le son d’un projecteur. Tous les films étant muets, la musique que vous écouterez, est donc une intervention contemporaine.
Le film de Nikos Simiriotis est une exception: c’est le seul auquel le réalisateur ait ajouté musique et narration. On devrait souligner que ce film était dans le pire état, compte tenu du temps et de sa mauvaise conservation. J’ai pourtant voulu l’incorporer dans l’ensemble des films, puisque Nikos Simiriotis était un poète et, probablement, le premier à essayer de visualiser certains de ses poèmes, de les traduire par le cinéma.
Enfin, les scènes représentant les «événements de décembre 1944», une période difficile de l’histoire grecque, constituent un matériel que j’ai considéré comme amateur, d’après mes informations jusqu’à aujourd’hui. Cependant, comme la recherche sur ce matériel n’est pas encore achevée, ce jugement pourrait s’avérer erroné.
La plus grande partie de ce projet n’aurait pu être réalisé sans l’incitation de Henk Verheul gérant de la Cinémathèque Hollandaise et de l’Organisme Européen pour la recherche des films amateurs de famille, l’«European Association Inedits». De cela je les remercie. Je remercie, de plus, tous ceux qui ont contribué, de toute leur âme, à la réalisation de la vidéo, et en particulier, Kyriakos Mitrokotsas, compositeur de la musique qui accompagne les images -muettes de naissance-, le King’s College, Mme Liana Giannakopoulou, M. Karim Arafat et le Président de E.L.I.A., M. Manos Haritatos pour la confiance qu’ils ont montrée à mon égard. Et bien sûr, Mme Nafsika Georgopoulou, Mme Marie Simirioti et la famille Koutela qui ont très gentiment accepté de mettre à notre disposition un matériel «à usage privé».
Je suis vraiment heureux que cette projection ait lieu dans le cadre d’une manifestation importante de l’École Grecque de King’s College et qu’elle soit réalisée en Angleterre, pays ayant une longue tradition de cinéma amateur. Il est nécessaire de se rappeler, ici, qu’un des premiers «clubs» de cinéastes amateurs a été fondé en 1923, à l’Université de Cambridge et que, peu après sa fondation, plus de 200 clubs de cinéastes amateurs ont fait leur apparition en Grande Bretagne. Même aujourd’hui, il existe de très importantes archives locales qui collectent du matériel audiovisuel amateur. Malheureusement, je n’ai pas pu assister, aujourd’hui, à cette manifestation pour des raisons professionnelles. Toutefois, je tiens à vous remercier de votre présence et de votre patience.
Nikos Mitrogiannopoulos